En Belgique, l’ombre de Léopold II est encore tellement présente qu’elle occulte toujours l’essentiel.
Le rapport du Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies, statement paru le 11 février 2019, nous parle du racisme endémique dans la société belge. Tous nos journaux ont titré que les Nations Unies avaient demandé des excuses de la Belgique pour son passé colonial. Charles Michel a réagi en trouvant ce rapport « étrange ». Passée sous silence, la question essentielle soulevée par le rapport des Nations Unies, celle des discriminations que subissent aujourd’hui les Belges et les étrangers d’origine africaine.
« Il est clair que la discrimination raciale est endémique dans les institutions en Belgique. La société civile a signalé des manifestations communes de discrimination raciale, de xénophobie, d’afrophobie et de l’intolérance qui y est associée et auxquelles sont confrontées les personnes d’ascendance africaine ». (Rapport point 13)
Bien sûr nous ne sommes pas un état d’apartheid, les écoles et les universités ne sont pas interdites aux noirs, les emplois ne sont pas exclusivement réservés aux BBB (belges de souche).
Pourtant nous sommes loin d’offrir les mêmes chances à tous et toutes.
« Le groupe de travail conclut que les inégalités sont profondément enracinées en raison de barrières structurelles qui se croisent et se renforcent mutuellement ».
Selon l’étude effectuée, 60% des Belges d’origine africaines sont diplômés du supérieur mais subissent le chômage quatre fois plus que la moyenne nationale. L’étude dénonce aussi la sous-représentation des afro descendants au niveau du pouvoir judiciaire, des organes de l’Etat, du pouvoir législatif à tous les niveaux.
« Ces institutions ne reflètent pas la diversité de la population belge ». (Rapport point 23)
Elle souligne l’exclusion de l’enseignement général et l’orientation vers des filières manuelles. (Point 28). Elle constate enfin l’invisibilité des afro descendants dans les médias.
Les experts onusiens osent un discours inaudible pour la plupart de nos compatriotes: il existe en Belgique une exclusion systémique de l’éducation, de l’emploi et des opportunités. Nous sommes aveuglément racistes. Parfois en toute sincérité, sans même s’en rendre compte, de manière inconsciente, notre société est raciste.
Le groupe de travail de l’ONU dénonce aussi le profilage ethnique et les conditions de détention à la prison de St Gilles. Il soulève un autre sujet tabou: le racisme dans la lutte anti-terroriste.
« Certains responsables publics ont implicitement reconnu leur rôle à cet égard, notamment en défendant l’utilisation du profilage racial en tant que tactique antiterroriste et en suggérant une fausse équivalence entre les efforts anti-radicalistes et les programmes antiracistes, c’est-à-dire en ne comprenant pas que les postulats racistes relatifs au radicalisme sont inexactes, fondées sur des préjugés et détournent des ressources essentielles de la protection de la société belge contre les menaces réelles ». (Point 32)
Vous avez bien lu, des experts estiment que nos ressources essentielles pour nous protéger des menaces réelles sont détournées, en raison de préjugés racistes. C’est gravissime. Cela devrait nous faire réagir, bondir, exiger que cela cesse et que les moyens policiers et judiciaires soient utilisés à bon escient.
Selon les experts de l’ONU, la négation du passé colonial est l’une des causes du racisme endémique. Ils en évoquent d’autres: les Blackfaces décrits comme choquants, méprisants et déshumanisants ou la réédition de Tintin au Congo sans contextualisation antiraciste. Ce sont toutes des explications pour tenter de comprendre la discrimination que subissent aujourd’hui des afro descendants.
Alors oui, il est grand temps d’admettre les horreurs de la colonisation et de déboulonner les statues de Léopold II, mais ne nous voilons pas la face, c’est loin d’être l’essentiel.
Selma Benkhelifa, Avocate – Progress Lawyers Network, in Le Vif, 15/02/19 à 08:57