Agent de joueur de football, la profession a beaucoup fait parler d’elle au moment du Footbelgate. Au point qu’aujourd’hui, des voix s’élèvent pour réclamer une réforme du métier qui passerait par la réintroduction d’une licence, supprimée en 2015, au profit d’un simple enregistrement à l’Union Belge. De l’autre côté de la frontière, en France, cette licence n’a jamais disparu et vient sanctionner un examen particulièrement relevé, obligeant les agents en devenir à retourner à l’école.
Ils ont raccroché les crampons depuis plus de dix ans, mais leur quotidien est encore largement rythmé par le football. José Pierre-Fanfan et Raphaël Roncen exercent aujourd’hui le métier d’agent de joueur. Une reconversion qui s’est vite imposée à eux. « On n’avait pas la fibre pour devenir entraîneur et on s’est dit qui de plus légitime qu’un ancien joueur pour accompagner des joueurs » confie Pierre-Fanfan, homme fort de la défense du Paris-Saint-Germain dans le milieu des années 2000. « Notre parti pris c’est vraiment de mettre le joueur au centre de notre préoccupation et d’être à 100% derrière lui pour qu’il fasse la meilleure carrière possible », renchérit Roncen, lui qui, entre 2002 et 2004, a revêtu le maillot du club de Virton, alors en D2.
Aujourd’hui ces deux associés représentent chacun 6 joueurs professionnels, et non des moindres: « J’accompagne Jérôme Roussillon, un super défenseur latéral qui évolue en Allemagne, à Wolfsburg, et Christopher Nkunku, un milieu extrêmement prometteur qui doucement se fait sa place dans l’effectif du PSG », ça, c’est pour Pierre-Fanfan, mais Roncen n’est pas en reste. « Je travaille avec Bobby Alain, le gardien du club de Dijon, et Sophie Istillard, la capitaine de l’équipe féminine des Girondins de Bordeaux ».
Mais ils ont beau avoir écumé, à eux deux, pendant plus de 30 ans les terrains d’Europe, en France on ne s’improvise pas agent de joueur. Pour exercer le métier, une licence est indispensable. « C’est un vrai sésame » clame Pierre-Fanfan, montrant cette carte plastifiée qui ne quitte jamais son portefeuille. Pour l’obtenir, il faut en passer par un examen particulièrement sélectif. 580 postulants l’année dernière, pour seulement 34 reçus. « La licence d’agent c’est un niveau Bac +4, donc il faut vraiment s’investir, pendant près 6 à 8 mois on a fait des cours du soir et on bossait également à la maison » se remémore Roncen. Comme eux, nombre d’agents en devenir reprennent, en France, le chemin de l’école.
« ON VA MANGER FOOT, PARLER FOOT, ALLER VOIR DES MATCHS DE FOOT »
Installée dans un bâtiment cossu de Neuilly, une banlieue chic de Paris, l’EAJF (Ecole des agents de joueurs de football) a déjà formé plus d’une centaine d’agents de footballeurs. Cet après-midi-là, une trentaine d’étudiants tentent de s’imprégner d’un article de droit. « En tout, pour l’examen, il faut pouvoir restituer plus de 1.000 pages de textes juridiques, ça va du droit à l’image, au droit des contrats, en passant par le droit des sociétés, en tout 9 matières juridiques » détaille Charles Bringand, l’intervenant du jour, lui-même agent de joueur.
Devant lui, des étudiants, et étudiantes, âgés de 20 à 55 ans, souvent en reconversion et bien décidés à exercer une profession qui rime avec passion. « Au final on va manger foot, parler foot, aller voir des matchs de foot tous les week-ends » anticipe, avec le sourire, Mickaël Samouillan, jusque-là ingénieur dans le domaine de la sécurité informatique. « Pour moi c’est une façon de mettre un pied dans un milieu qui me fait rêver ».
10 MOIS DE FORMATION, COUT 4.990 EUROS
Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils se plient à 10 mois de formation, tour à tour en salle de classe et sur le terrain, lors de séminaires et d’immersions dans les clubs. Ticket d’entrée dans cette école créée en 2010, 4.990 euros, le prix, élevé, de la réussite à en croire Sydney Broutinowski, le président fondateur de l’institution: « On forme entre 70 et 80% des nouveaux agents agréés chaque année par la Fédération française de football, et au fil du temps on a acquis la confiance des clubs, via notre formation plus de 40 clubs viennent échanger avec nos étudiants ».
Des étudiants qui peuvent ainsi tisser leur réseau, essentiel dans ce milieu, avant même l’examen, prévu au mois de mars. Facturé 300 euros à chaque postulant, ce concours annuel est administré au sein même des locaux de la FFF, la Fédération française de football. A la manœuvre, Jean Lapeyre, son directeur juridique, qui n’envisage pas d’y renoncer. « On demande aux médecins de justifier d’un diplôme avant d’opérer, c’est la même chose pour les agents, on leur demande d’avoir un minimum de connaissance pour exercer ».
Abandonnée en Belgique en 2015, suite à la volonté de la FIFA, l’instance internationale qui régente le football, de déréguler le secteur, la licence « à la française » fait figure d’exception à la règle. Une exception, qui faute d’annihiler toutes les dérives, offre aux autorités françaises un droit de regard et de sanction, « ça nous permet de faire un tri au départ, et après de contrôler cette population, en sachant qui est qui, qui fait quoi et qui ne devrait pas faire quoi ».
BIENTOT LE RETOUR D’UNE LICENCE EN BELGIQUE
Mais en France, comme ailleurs, le secteur des agents de footballeurs reste marqué par son opacité. Chez nos voisins, exercer sans licence a beau être illégal, et passible de prison, reste qu’aujourd’hui encore les 446 agents officiels doivent composer avec une concurrence déloyale. « Il y a l’entourage du joueur, la famille, les amis, les collaborateurs d’agents » peste Raphaêl Roncen. Et José Pierre-Fanfan d’analyser les failles du système « Le problème est simple, qu’est ce qui intéresse les clubs, c’est le joueur, et les clubs sont capables d’écouter, discuter, collaborer avec des individus sans licence pour le faire signer coûte que coûte, si seulement les clubs respectaient la réglementation, on ferait déjà un bon tri ».
Sans tout résoudre, le modèle à la française, reste une référence. Pour preuve, la FIFA, hier adepte de la dérégulation, réclame aujourd’hui le retour d’une licence d’agents de joueur à l’échelle mondiale. La Belgique devra alors s’y conformer, incitant l’école des agents de joueurs à plancher sur l’ouverture d’antennes dans toute l’Europe. Ouverture envisagée à Bruxelles, dans le courant de l’année 2020.
Publié par Olivier Rozencwajg, in RTBF, le 24 février 2019 à 08h00