Des banlieues à l’ONU, Karim Saafi, mort dans le crash en Ethiopie, raconté par son « frère » Yassine Belattar

Son ami d’enfance, l’humoriste Yassine Belattar, le décrit comme un « symbole » qui combattait le fatalisme dans les quartiers populaires mais aussi en Afrique.

Ils sont neuf Français, selon le Quai d’Orsay, a avoir péri dans le crash du Boeing 737 MAX d’Ethiopian Airlines dimanche. Parmi eux, Karim Saafi, un Franco-Tunisien dont la mort émeut ce lundi bien au-delà de l’Hexagone. Bruxellois depuis plusieurs années, l’homme de 38 ans était en effet très engagé dans le développement de l’Afrique. Il était justement sur le vol ET 302 pour intervenir devant le Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine à Nairobi (Kenya). Son ami d’enfance, l’humoriste Yassine Belattar, dresse auprès du Parisien le portrait de ce « symbole pour les jeunes des quartiers », co-fondateur du Forum de la jeunesse de la diaspora africaine en Europe (Adyfe) au titre duquel il intervenait à l’Onu.

Les deux hommes ont grandi ensemble, dans les années 1990, à Marly-le-Roi (Yvelines). « Karim m’a appris à vivre alors que j’étais en colère contre tout. Il m’a dit de lire et d’apprendre à parler. Au collège puis après, c’était une personne tellement importante dans notre construction à tous… Il n’était jamais fataliste et est devenu un exemple », se souvient, la voix chevrotante, le comique lui-même nommé par Emmanuel Macron pour réfléchir sur les banlieues au sein du Conseil présidentiel des villes.

Depuis la chambre de Karim, dont il est en train de trier les affaires, Yassine s’attache à nous décrire la « générosité » et l’ « engagement » de son « frère jumeau », pour lequel il ne cache pas son admiration. « C’était un grand éloquent, même s’il parlait anglais comme Yasser Arafat! Il était bien plus drôle que moi, il riait tout le temps », se remémore l’humoriste. Et de poursuivre: « Il fédérait, donnait de l’espoir. Son apport à la jeunesse des quartiers populaires est immense. Et il a fini à l’Onu alors, quand je me baladais avec lui dans certains quartiers, tout le monde venait lui serrer la main, le sollicitait… »

UN PROJET D’ÉCOLE À MOLENBEEK

Selon Yassine Belattar, le rôle de Karim Saafi avait largement dépassé la seule problématique des banlieues. « Il travaillait avec une centaine d’associations dans le monde, il portait haut le panafricanisme. Il voulait montrer aux gens qu’ils pouvaient aller au-delà de là où on les attend, et qu’ils étaient autre chose que ce qu’on les suspecte d’être », explique-t-il en donnant l’exemple de Molenbeek. En 2015, la France et le monde entier découvraient tragiquement cette commune de la région de Bruxelles, rebaptisée « capitale des djihadistes ». Mais « Karim n’était pas fataliste », martèle Yassine. « Il allait ouvrir une école là-bas. On devait justement se voir cette semaine, c’est lui qui portait ce projet mais il fédérait toujours beaucoup de gens quand il estimait qu’une initiative avait besoin de dons. Et on va l’ouvrir, cette école qui donnera de l’espoir aux jeunes! » assure-t-il dans un sursaut de combativité. « Sinon ce serait du gâchis », justifie-t-il en indiquant vouloir lui donner le nom de son ami.

Ce lundi, la Ville de Bruxelles organise un premier hommage. « Mais il était tellement apprécié qu’il va falloir trois enterrements, à Marly et en Tunisie! » assure Yassine Belattar, ému d’indiquer également que son ami allait se marier cet été. Sur les réseaux sociaux, nombre d’autres proches et associations continuent de manifester leur tristesse et leur gratitude, à l’image de l’Union Panafricaine de la Jeunesse qui décrit Karim Saafi comme « l’un des grands leaders » de l’Afrique en Europe.

 

Par Aurélie Rossignol, publié dans Le Parisien, le 11 mars 2019, 14h19